Nouvel article de Yann Leroux, Docteur en psychologie, psychanalyste et spécialiste entre autre des jeux vidéo. Il nous explique le parallèle entre Don Quichotte de la Mancha, et les amateurs de jeu vidéo…
On raconte qu’un homme d’âge mur est soudainement devenu obsédé par les chevaliers de jadis. Cette préoccupation était si forte qu’il abandonne peu à peu toutes ses activités, y compris le soin donné à son domaine. Il vend ses biens pour acheter des livres sur les chevaliers. Il lit tout ce qu’il lui est possible de lire sur leurs vies, leurs exploits et leurs épopées. Il finit par se penser et par agir comme un chevalier. Il prend une mule comme fier destrier, la baptise Rossinante, et prend le glorieux nom de Don Quichotte de la Manche. Bien évidement, ce comportement lui amène quelques déboires. Mais il retourne toujours à ses livres qui lui font toujours bon accueil. La famille de Don Quichotte finit par s’inquiéter de ce comportement et brûle ses livres qui lui apportent tant de problèmes. Après avoir brûlé les livres de chevalerie, les livres de poésie, puis toute la bibliothèque car finalement, ce sont tous les livres qui présentent un danger. Mais alors même que sa bibliothèque est détruite, Don Quichotte continue d’être le Chevalier de la Mancha. Il prend un écuyer et va guerroyer contre les moulins à vent.
Les jeux vidéo sont assez comparables à la célèbre histoire de Cervantès. Tous deux ouvrent de nouveaux espaces narratifs.Don Quichotte a inventé le roman moderne en faisant de la littérature un espace narratif dans lequel le protagoniste peut se perdre. Le roman peut être lu en simple divertissement critique des romans de chevaliers, ou encore critique de la société. Enfin, dès sa sortie, le roman est l'objet de détournements. Lorsqu'ils sont inventés dans les années 1960, les jeux vidéo sont une nouvelle manière de raconter les histoires en détournant les ordinateurs de leur fonction de calcul.Ils sont autant des récits qu'une succession de choix à opérer. En plaçant les joueurs dans la peau de héros salvateurs, les jeux empruntent à l'épopée et à la légende tandis que les possibilités d'action du joueursur le monde le placent davantage du côté du jeu.
Les joueurs de jeu vidéo ne sont pas déréalisés comme don Quichotte mais les mécanismes sont les même. De la même façon que don Quichotte s’est identifié à un chevalier, le joueur de jeu vidéo s’identifie aux personnages des histoires auxquelles il joue. L'identification n'est pas un résultat du jeu mais elle l'a précède. Elle est un mécanisme de défense qui permet de protéger la personne des désagréments de la vie quotidienne.
Les familles d’aujourd’hui commettent parfois la même erreur que la famille de Don Quichotte. Elles se focalisent sur le média en pensant qu’il est la source du problème alors qu’il n’en est qu’un reflet lointain. Lorsque tous les livres de sa bibliothèque sont brûlés, Don Quichotte s'en prend aux moulins à vent. Cela signifie qu'il poursuit un dialogue interne dans lequel la réalité des livres a finalement peu de place. De la même façon, l’investissement des parties de jeu vidéo est une mesure de l’intensité du dialogue que le joueur poursuit avec ses images internes.