Mis à jour le 13 février 2023 2 de nos experts
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Un parcours contrarié pour les adolescents… et pour leurs parents. Vraies et fausses inquiétudes.
Dans cette période tourmentée il importe de faire un point sur ce que nous donne à voir et à penser cette pandémie sur nos adolescents, mais aussi sur notre vécu de parents : que se passe-t-il dans cet espace restreint qu’il faut bien partager au-delà des masques et des écrans ? Que nous révèlent nos réactions, moments de désarroi, mouvements d’humeur face à nos adolescents ?
Sommaire de l'article
Le confinement, c’est tout à l’envers de l’adolescence
A vrai dire, le confinement vient contrarier le « processus » adolescent : l’adolescence, c’est le temps d’une prise de distance, pour prendre le large, se « déplier » ailleurs et autrement, se dégager du regard des parents, s’ouvrir au monde… parfois intensément manifesté sous forme de conduites d’essai, conduites à risque. C’est le temps d’ajuster la distance relationnelle avec ses proches, de nouer de nouveaux liens amicaux ou amoureux.
Patatras, le confinement vient gêner le mouvement de séparation/individuation, en un coup d’arrêt brutal et « replier » tous ces mouvements tellement nécessaires à l’épanouissement en route vers l’autonomie… Les adolescents sont ainsi supposés renouer avec la période calme et docile dite « de latence » pré pubertaire et de reprendre leur place d’enfant dans le cocon familial.
En effet, le confinement, c’est une régression imposée vers le monde de l’enfance, une confrontation à une promiscuité gênante, une soumission obligée aux règles édictées par les pouvoirs publics et relayées par les parents : les adolescents sont à nouveau plongés dans un univers de recommandations et d’interdits qui les amènent à se sentir victimes de décisions arbitraires ou injustes venant limiter leur liberté, brider leur vie au quotidien et frustrer leur besoin d’indépendance.
Le confinement, c’est aussi la coupure physique d’avec les pairs, ces indispensables relais et modèles d’individuation. La fermeture des espaces de sport, des skateparks et de tous ces lieux où les adolescents saisissent l’occasion de prendre la mesure des nouvelles potentialités de leur corps et de se mesurer aux autres, est nécessairement mal vécue.
Derrière ce confinement, c’est la question des représentations du virus SARS – responsable d’une pandémie mondiale et de toutes les peurs qu’elle suscite en permanence réactivées et amplifiées par une hypermédiatisation… Comment lutter contre cet ennemi invisible qui peut s’introduire dans l’organisme, rester tapi dans l’ombre ou déclencher une maladie potentiellement mortelle pour les plus fragiles ? Faute de précaution, les adolescents sont avertis qu’ils risquent de transmettre l’infection à leurs proches, de les exposer à l’éclosion de formes graves, de mettre en jeu le pronostic vital des plus âgés dont leurs aïeux.
Dans un tel contexte hautement stressant, trouver les mots justes pour parler de cet agent infectieux mystérieux, doté d’un tel pouvoir de nuisance est essentiel.
L’épidémie de COVID-19 sert de support à des peurs irrationnelles comparables à celles qui ont existé de tout temps : la peur de ce qui vient de l’étranger, la peur de l’autre, des autres, de la foule, et surtout la peur de la maladie et de la mort. Les bouleversements sociétaux, inhérents à l’angoisse qui circule et aux modifications du mode de vie de chacun, font écho aux transformations corporelles et psychiques auxquelles l’adolescent est lui-même soumis. Dans ce moment critique généralisé, même s’il se garde bien de le reconnaitre directement, ou affirme le contraire, il a plus que jamais besoin de se sentir compris, protégé et rassuré. Il nous faut d’abord l’écouter, l’inciter à faire part de ses ressentis, de ses craintes, de ses propres hypothèses puis lui répondre avec des explications claires qui portent sur :
- Les moyens disponibles pour y faire face, les enjeux de la prévention, la lourde tâche des soignants.
- Les restrictions dont certaines peuvent paraitre arbitraires ou injustifiées, mais qui s’imposent à tous sans exception.
- Les inévitables frustrations imposées par le confinement et les règles de distanciation (de séparation d’avec les pairs pour le premier confinement) qui s’apparentent à des punitions « décidées d’en haut ».
- Les « théories du complot » qui ne manquent pas de se propager aussi vite que le virus et qui mettent en cause des puissants supposés avoir déclenché cette pandémie pour servir leurs intérêts.
- Les opportunités ouvertes par ce temps suspendu pour opérer un certain retour sur soi, redécouvrir ses proches, mais aussi renouer voire créer des liens amicaux grâce aux moyens de communication à distance que nous offrent les nouvelles technologies.
- Le dispositif mis en place par les services médicaux pour faire face à ce surcroit de patients et répondre efficacement aux risques de complications qui concernent exceptionnellement les enfants ou les adolescents.
Les adolescents peuvent nous surprendre par leurs capacités d’adaptation
En effet, contrairement aux idées reçues et aux appréhensions des adultes, certains font souvent preuve d’une attitude responsable, positive, et montrent leur souci d’entraide et de solidarité… Ils comprennent parfaitement les explications qui leur ont été données et font en sorte de ne pas exposer leurs proches à un risque de contamination. Tout en regrettant de ne pouvoir côtoyer leurs camarades de classe, retrouver leurs amis ou leurs équipes sportives, ils s’efforcent de s’organiser face à cette situation d’exception, notamment pour suivre les cours à distance et effectuer le travail demandé par les enseignants. Il n’est pas rare qu’une atmosphère studieuse règne à la maison quand les parents sont occupés de leur côté par leurs obligations professionnelles en ligne. Dans les temps de pause qui font office de récréation, chacun peut prendre plaisir à se retrouver pour « souffler », échanger, et faire part, voire se plaindre des charges qui pèsent sur tous. Sans confusion des générations, les adolescents se retrouvent un peu en position de collègues de leurs parents autour d’un café. Ces temps informels sont précieux et contribuent à relancer les identifications croisées, à renouer avec une certaine complicité, à conforter une base de sécurité dans ce noyau familial qui fait corps pour résister à l’adversité.
Les adolescents d’aujourd’hui, en effet, ne manquent pas de ressources, grâce notamment à leur aisance à manier les nombreux outils de communication à leur disposition : ils savent ainsi s’échapper de ce quotidien confiné pour retrouver leur tribu via les réseaux sociaux. Ils s’assurent de la pérennité des liens, en multipliant les messages illustrés par des images et des émoticônes. Le sentiment d’appartenance au groupe est ainsi préservé, la différenciation avec la génération d’avant rétablie. Ils élargissent aussi leur horizon social via les jeux vidéo en ligne qui favorisent des rencontres avec d’autres adolescents, mais aussi des adultes de tous âges qui partagent la même passion.
Toutefois le tableau n’est pas toujours aussi idyllique
Il se produit inévitablement des moments de tension intergénérationnelle, des différends à propos de la répartition des tâches ménagères, du respect de l’espace commun, des horaires de lever et de coucher, des temps d’écran, des repas partagés… Des divergences d’opinions rendent parfois les discussions houleuses et ce d’autant que la tension familiale a peu de possibilité de s’évacuer ailleurs et autrement. Les rivalités dans la fratrie ont tendance à s’exacerber dans cette trop grande promiscuité. Certains gagnés par l’ennui, et désireux d’échapper un peu à l’enfermement, cherchent à se distraire et à rencontrer des « potes » en trainant au bas de leur immeuble.
Il arrive aussi que l’adolescent vive la fermeture du collège ou du lycée comme un soulagement, ou qu’il trouve un peu trop de bénéfice à se replier dans le cocon familial, à renouer avec une position d’enfant dépendant, à échapper aux contraintes extérieures, aux évaluations, au regard des autres… Ce repli protecteur parfois de courte durée peut se prolonger et s’apparenter à un évitement phobique qui risque d’être encouragé par des parents inquiets et soulagés de retrouver un petit à consoler et protéger des dangers du monde environnant.
Quand les capacités d’adaptation des adolescents sont dépassées
Les adolescents peuvent être débordés par l’anxiété, ils ne parviennent pas à gérer le stress provoqué par la perte de leurs repères, les nouvelles alarmantes, le décompte macabre des morts et des malades en réanimation, la progression dangereuse de la pandémie.
Au mal-être psychique qui s’exprime plus ou moins clairement, s’ajoutent des symptômes : céphalées, oppression thoracique, douleurs abdominales, névralgies… auxquelles peuvent s’associer une morosité, une sensibilité à fleur de peau, voire une irritabilité.
Dans ce contexte, les dérèglements du sommeil et de l’appétit sont fréquents : les adolescents vivent la nuit et dorment le jour, oublient les repas ou grignotent à tout moment. Leur apathie est entrecoupée de moments d’exaltation ou d’agitation. Ils coupent le contact avec leurs proches ou à l’inverse les sollicitent à chaque instant. Ils restent muets ou déversent leurs préoccupations, semblent indifférents ou dénoncent les injustices à moins qu’ils ne reprennent à leur compte toutes les théories du complot qui circulent en abondance sur le net.
Certains restent « scotchés » devant leurs écrans, « affalés » sur leurs PC dans un état quasi « larvesque ». Rien ne semble plus les intéresser, et les remarques les incitant à se mobiliser déclenchent des larmes ou des réponses agressives. Ils expriment alors le sentiment que personne ne comprend ce qu’ils vivent et qu’on les accable de reproches alors même qu’ils se sentent impuissants à réagir. Faute de reconnaitre leur vécu dépressif, l’entourage risque par ses interventions maladroites, d’accentuer leur détresse. Des « embrouilles » avec les copains/copines, des frictions avec les petit.e.s. ami.e.s, l’indifférence des autres à leurs messages, voire les petites phrases assassines sur leurs pages Facebook, sont souvent à l’origine de cette méchante humeur qu’ils font vivre à leurs parents, dont le seul rôle est de « survivre » à ces attaques déplacées qui les prennent pour cibles ou exutoires. Un échange de mauvais procédés peut à l’inverse s’instaurer quand les parents sont eux-mêmes excédés, insatisfaits, tendus, anxieux, insomniaques… Une ouverture relationnelle s’impose alors avec un possible recours à un professionnel qui pourra jouer un rôle de tiers et contribuer à apaiser les malentendus et désamorcer l’escalade d’affrontements stériles et épuisants.
Le futur à l’heure du déconfinement : du plaisir des retrouvailles aux débordements festifs
La plupart des adolescents renouent avec plaisir avec leur vie de collégien ou de lycéen. Ils expriment leur soulagement face à la levée des restrictions et la liberté retrouvée d’aller et venir, de fréquenter à nouveau leurs comparses, de pratiquer leurs sports ou leurs loisirs favoris, d’échapper au huis clos familial. Ils semblent en capacité d’oublier instantanément la période précédente et de reprendre sans état d’âme et sans délai leur vie sociale là où ils l’avaient laissée. La confrontation aux exigences scolaires, la prise de conscience des conséquences d’un certain relâchement pendant le confinement peuvent naturellement les inquiéter et les inciter à se remettre au travail.
Il arrive à l’inverse, pour certains, que la reprise soit difficile. Ils se sentent parfois fragilisés par cette période de retrait social, de mise à l’abri des regards des autres, de relativisation des exigences de performance. Ils craignent de ne pas/plus être à la hauteur et gardent la nostalgie de cette période de répit que leur a octroyée la fermeture des établissements scolaires. L’angoisse qui ne s’était pas manifestée pendant le confinement les gagne chaque matin au point d’espérer trouver un prétexte pour rester à la maison. Le déclenchement d’une phobie scolaire n’est pas exclu si l’entourage familial, les amis et les enseignants ne viennent pas les rassurer et les soutenir. Une attention particulière doit être apportée aux « décrocheurs » qui n’ont ni suivi les cours à distance, ni rendu de devoirs.
Enfin, il importe de savoir discuter avec ceux qui ne retournent en classe que pour s’amuser avec les autres, les retrouver après les cours pour faire la fête, boire, fumer des produits illicites, comme s’ils avaient échappé au pire et cherchaient à vérifier qu’ils étaient bien en vie. Ils sont soucieux de profiter du moment présent au point de ne plus se projeter dans un avenir qui leur parait encore bien incertain.
Le reconfinement « saison 2 »
Instauré après les vacances de la Toussaint, le reconfinement semble leur donner raison. Certes la vie scolaire a repris, mais toutes les activités extrascolaires sont à nouveau compromises. Les bars, les cinémas, les salles de sport sont fermés, les sorties réduites à peau de chagrin, les rencontres en groupe interdites… Ce retour en arrière est forcément vécu comme une sanction, et ce d’autant que l’abandon par les jeunes de toute mesure de distanciation sociale pendant l’été est largement considéré dans l’opinion publique comme responsable du rebond de l’épidémie, de la saturation des hôpitaux, de la mort des personnes âgées et vulnérables. Le constat du chef de l’état, reconnaissant que l’année 2020 a été particulièrement éprouvante pour les jeunes, n’offre qu’une faible consolation. La compréhension dont ils avaient fait preuve au printemps est mise à rude épreuve à l’automne. C’est comme si, cette fois, on leur en demandait trop. Ils se sentent partagés entre la nécessité de prendre en compte cette réalité pénible et la révolte contre ces limitations qui leur sont à nouveau imposées et qui vont à l’encontre de leurs désirs les plus légitimes, de leurs revendications adolescentes salutaires pour s’affirmer et s’inscrire dans le groupe de pairs.
En guise de conclusion…
La crise sanitaire est loin d’être terminée, les mesures de restriction s’imposent à nouveau, un « couvre-feu » est décidé pour limiter la propagation du virus, les fêtes entre amis sont interdites à la nouvelle année…. Les perspectives sont loin d’être réjouissantes et on peut s’étonner de la relative docilité des adolescents, de la rareté des transgressions, de la mise en veilleuse de leur esprit de révolte, de leur soumission à toute une série de contraintes que les adultes ont eux-mêmes quelque peine à supporter.
On peut certes supposer qu’ils parviennent à tirer quelques bénéfices secondaires de cette situation d’exception qui relativise les enjeux de réussite sociale, ou qu’à l’inverse ils sont accablés par le pessimisme ambiant et effrayés par le spectre d’une crise économique majeure à laquelle s’ajoutent les actes terroristes et les menaces inhérentes au réchauffement de la planète. Comme on l’a dit, ils sont également soucieux de ne pas compromettre la santé des personnes âgées ou vulnérables qui leur sont chères. On peut aussi faire l’hypothèse que leur bonne « observance » de ce régime drastique est lié au fait qu’ils se sentent solidaires de l’effort collectif consenti pour lutter contre un ennemi commun et qu’ils reconnaissent le bien fondé des mesures qui visent à protéger le plus grand nombre. Ils sont prêts à se soumettre à une autorité qui tient sa légitimité de sa mission protectrice.
Au-delà de la résilience dont font preuve la plupart des adolescents, il convient de prendre en compte le mal-être croissant de certains d’entre eux s’exprimant directement par des préoccupations hypocondriaques, des propos dépressifs ou des idées de suicide, ou indirectement par un repli, des manifestations récurrentes d’agressivité, ou une désorganisation du sommeil ou de l’appétit… Les parents ne sauraient traiter seuls cette souffrance qui relève de la compétence d’un professionnel de santé.
Zoom sur
Ce que nous apprennent les enquêtes : les facteurs de risque d’états émotionnels négatifs
- Les états émotionnels négatifs préexistants à la crise sanitaire
- Difficultés d’accès en ligne avec l’équipe pédagogique du collège ou du lycée, interruption du soutien scolaire
- Stress lié au changement du fonctionnement dans la famille. Retentissement émotionnel marqué chez les autres membres de la famille
- Mésusage des écrans, accrochage quasi addictif aux jeux vidéo
- Désorganisation du sommeil, heure tardive du coucher
- Désorganisation des modes alimentaires : grignotage face à l’ennui
- Arrêt des activités physiques
- Arrêt des soins pour les adolescents porteurs de maladie chronique
Zoom sur
Ce que nous, parents, avons appris pour nos adolescents…
- Aménager et respecter des espaces d’intimité pour chacun
- Mettre en place des repères temporels auxquels chaque membre de la famille peut se référer pour organiser son propre emploi du temps, avec des temps dédiés à la vie communautaire, au travail, aux loisirs…
- Valider mais tempérer les réactions d’exaspération liés à la situation de confinement, les mouvements d’impatience ou de découragement
- Veiller à la cohérence des positions parentales
- S’intéresser au travail scolaire de l’adolescent sans confondre le métier de parent et celui d’enseignant
- Favoriser l’expression des émotions, des rancœurs, des éprouvés négatifs, mais aussi des désirs et des projets pour l’après confinement
- Encourager le maintien des liens avec leurs amis, les échanges avec eux via les réseaux sociaux qu’ils partagent
- Pondérer l’omniprésence des médias, mais ouvrir la discussion sur les sujets d’actualité et les rumeurs et autres « fake news » qui peuvent circuler sur le net
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Pr Bernard BOUDAILLIEZ
Professeur émérite Université Picardie Jules Verne (UPJV)
Médecin vacataire à l’ASE Amiens
Pr Christian MILLE
Professeur émérite Université Picardie Jules Verne (UPJV)
Pédopsychiatre Praticien attaché CHU Amiens
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