Mis à jour le 13 février 2023 2 de nos experts
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« Il n’y a pas d’adolescence sans prise de risque »
D. Le Breton & D. Marcelli
Sommaire de l'article
Prise de risque à l’adolescence : qu’en est-il de la réalité ? Que nous disent les enquêtes ?
- 15 % des adolescents interrogés (Baromètre Santé Jeunes) déclarent avoir fait quelque chose de risqué dans le mois précédent l’enquête
- Un adolescent sur 5 présente un « accident » nécessitant une intervention médicale dans les 12 mois précédant l’enquête
- Traumatologie : première cause de passage (2/3) aux urgences pour la tranche 12-18 ans… 1/3 de ces ados vont présenter un nouvel accident dans l’année
- Près de 50 000 accidents par an recensés dans le cadre d’une pratique sportive…
- Les accidents constituent la principale cause de mortalité & morbidité à cet âge de la vie
Que recouvrent les mots ?
Par définition, « conduite à risque implique une exposition délibérée au risque de se blesser, de mourir, d’altérer son avenir, de mettre sa santé en péril » (D Le Breton).
Il faut distinguer :
- Conduite à risque avec effet immédiat versus différé
- Conduite à risque bruyante et repérable versus cachée, dissimulée
- Conduite à risque par excès, répétition, refus, fuite…
- Conduites délibérées socialement inacceptables versus pratiques risquées socialement valorisées (sport extrême)
La conduite qui défie la mort (ordalique) se traduit par une prise de risque majeure (L’adolescent joue le tout pour le tout), il met sa vie en jeu, interroge ainsi son destin pour valider/gagner le droit de poursuivre son existence, par exemple il peut s’autoriser à vivre s’il sort indemne après avoir roulé à contre-sens sur le périphérique…
Les expressions diffèrent selon le genre : schématiquement les garçons ont plus souvent recours à des actes violents et transgressifs tandis que les filles (tout aussi concernées par cette question), plus introverties s’attaquent plus directement à leurs corps…
Ainsi, les conduites à risque se manifestent sur un large registre et diffèrent selon le genre.
Diversité des modes d’expression :
-
Accidents à répétition, vitesse excessive, refus des limites et des mesures de précaution…
Mais aussi :
- Conduite d’alcoolisation massive (binge-drinking) et consommations répétées de produits psychoactifs (tabac, alcool, cannabis…)
- Gestes auto-vulnérants : scarifications, brûlures,
- Conduites sexuelles à risque : rapports non protégés (grossesse , IST…)
- Troubles des Conduites Alimentaires (TCA)
- Tentative de suicide
- …
Les clefs pour comprendre
1. Comprendre les données issues des recherches des neurosciences (techniques d’imagerie IRM fonctionnelle) qui montrent (schémas ci-dessous) un asynchronisme dans la maturation cérébrale entre :
- d’une part, les zones limbiques où se jouent les régulations émotionnelles, les circuits de récompense…
- d’autre part, le cortex préfrontal qui contrôle l’organisation de la cognition, le jugement, la planification, l’inhibition…
Ces données sont un élément d’explication de l’impulsivité des comportements à l’adolescence, que l’ on pourrait résumer par l’aphorisme « l’émotion prime sur la raison ». Ce décalage rend compte, chez l’adolescent, de cette discordance entre la compréhension du risque (comparable à celle de l’adulte) et la moindre capacité à en considérer les répercussions négatives.
2. Comprendre que découvrir le monde par soi-même est un impératif pour l’adolescent dans ce mouvement d’affirmation de soi et de différentiation d’autrui (processus de séparation/individuation), l’exploration du monde est pressante, à mille lieux d’un copier-coller de ce que les parents voudraient « imprimer » ; Il est en nécessité incontournable d’expérimenter par lui-même la vie qui s’ouvre à lui sans tenir compte des conseils de prudence des parents… Donc le monde lui appartient et il l’explore par essais-par erreurs incluant de possibles risques : il est tout autant habité par une recherche de sensations, de récompenses immédiates que par le besoin de rompre avec une position antérieure de soumission aux recommandations des adultes. L’enjeu est de prouver son désir et sa capacité d’être à la hauteur d’aspirations nouvelles, de s’affirmer sous le regard des pairs, en faisant démonstration de son audace, sa témérité, voire de ses exploits via les réseaux sociaux : il s’expose face à son groupe d’appartenance à un risque de surenchère, conforté par le sentiment de toute puissance pour faire valoir sa différence, tout en vérifiant que l’on tient à lui…
3. Comprendre que le groupe de pairs, par sa puissance d’attraction, peut inciter l’adolescent à s’inscrire dans une surenchère de défis et de conduites à risque pour se faire reconnaître et accepter… Les conduites à risque peuvent ainsi apparaître comme des rites de passage bricolés…
« Il n’y a pas d’adolescence sans prise de risque » ( D Le Breton & D Marcelli)
Il s’agit d’abord de bien comprendre le comportement de prise de risque à l’adolescence en termes de plaisir, d’aventure, besoin de se confronter aux limites, de tester, d’explorer les potentialités du monde environnant… Se limiter à des mesures sécuritaires et de précautions à fortiori de la stigmatisation n’aide pas l’adolescent à voir clair dans ce qu’il met en jeu de manière extrême : une douloureuse volonté de bouleverser les routines familiales, une tentative d’échapper à l’impuissance de mobiliser autrement ses capacités à s’affirmer dans son identité nouvelle, une tentative de bricoler un rite de passage à l’âge adulte…
Il importe cependant de bien différencier les conduites d’essai ou d’exploration qui sont courantes à l’adolescence, des conduites d’auto-sabotage qui viennent révéler une souffrance dépressive ou un trouble psychopathologique plus sévère.
Et en pratique ?
- Reconnaître le droit à l’expérience, reconnaître le plaisir et la satisfaction que procurent les sensations fortes… Le nier, c’est couper court la communication.
- Ne pas pour autant passer sous silence les prises de risques inouïes, en les considérant comme de simples conséquences de l’« âge bête » qu’il vaut mieux ignorer que de prendre au sérieux. Au delà de leur légitime désir d’émancipation, les adolescents ont besoin de s’appuyer sur ce que les parents autorisent et de se heurter aux limites qu’ils leur posent.
- Poser avec fermeté et sans ambiguïté des repères « non négociables », énoncer de manière calme votre intention d’intervenir en cas de mise en danger. Ne vous sentez pas coupable d’un ton autoritaire qu’il vous impose. Ces repères doivent être argumentés : ils reposent sur la notion d’incivilité, de conduite périlleuse ou de non-respect de la loi.
- Etre au clair avec la légitimité d’une telle prise de position :
- S’assurer de la cohésion de point de vue des deux parents
- Ne pas se laisser fasciner par les représentations triomphantes de la jeunesse, par la nostalgie de sa propre adolescence insouciante
- Ne pas succomber à la tentation d’une sur-réaction sécuritaire
- La répétition des conduites à risque, l’escalade dans les mises en danger, la perception d’éléments dépressifs sous-jacents, la pression exercée par un groupe de pairs destructeurs sont à considérer comme autant de signaux d’alarme imposant une aide extérieure.
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Pr Bernard BOUDAILLIEZ
Professeur émérite Université Picardie Jules Verne (UPJV)
Médecin vacataire à l’ASE Amiens
Pr Christian MILLE
Professeur émérite Université Picardie Jules Verne (UPJV)
Pédopsychiatre Praticien attaché CHU Amiens
D Le Breton conduite à risque : des jeux de mort au jeu de vivre Paris PUF 2003
Dictionnaire de l’ adolescence et de la jeunesse D Le Breton D Marcelli ed PUF 2010
Sites internet
HSBC Health Behaviour among School Chlidren
ESPAD European School Survey Project on Alcohol and others Drugs
OFDT Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies
BAROMETRE Santé jeunes
EHLASS European Home Leisure Accident Surveillance System
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